Il y a 40 ans, la magie de Mario
Le 14 mars 1984, les Voisins de Laval accueillent les Chevaliers de Longueuil. Mario Lemieux a besoin de trois buts pour battre le record de 130 en une saison de Guy Lafleur, établi 13 ans plus tôt. Revenons sur cette soirée magique, avec trois joueurs qui étaient sur la glace avec lui.
Pour avoir le portrait global de l’exploit réalisé par Lemieux ce soir-là, on a contacté deux de ses coéquipiers, le défenseur Steven Finn et l’attaquant Vincent Damphousse, de même que le défenseur des Chevaliers, Luc Gauthier.
Un, parmi tant d’autres, qui a été étourdi plusieurs fois par Lemieux dans cette victoire de 16-4 des Voisins!
Si Finn, Damphousse et Gauthier ont trois points de vue différents du match, ils s’entendent aussi sur trois points.
Un, la performance individuelle de Lemieux est la plus impressionnante qu’ils n’ont jamais vue, en personne ou à la télé.
Deux, le fait que Wayne Gretzky ait été dans les gradins – les Oilers affrontaient le Canadien au Forum le lendemain – a rendu le tout encore plus spécial.
Et trois, que Mario ait réalisé pareille soirée lors du tout dernier match de la saison, devant une salle comble à Laval et plusieurs journalistes, témoigne de sa grande aisance sous pression. Ce que l’on a ensuite pu constater à maintes reprises dans la LNH et sur la scène internationale.
Un Mario « dans sa bulle »
Le 14 mars 1984, donc, la tâche de Lemieux s’annonce colossale : réussir un tour du chapeau pour égaler le record de Guy! Guy! Guy! Marquer quatre buts pour le battre.
Celle des Chevaliers l’est encore plus : tenter de contrer Lemieux, qui saute sur la glace avec 127 buts et 271 points en 69 matchs.
« Mario marquait deux buts et récoltait quatre points par match, alors, on savait que c’était possible. Mais on ne s’attendait pas à ça », avoue Vincent Damphousse, qui était alors un joueur de centre recrue de 16 ans.
« Mario n’en parlait pas [du record], ajoute Damphousse. Lui, plus l’enjeu était grand, plus il était calme, dans sa bulle. »
« On était probablement plus nerveux que lui, approuve Steven Finn. Mario, c’était un gars assez réservé, mais qui avait confiance en ses moyens. On voulait tellement qu’il y arrive, car il avait tellement fait pour l’organisation. »
Dans le vestiaire des Chevaliers, les joueurs sont tout aussi nerveux, mais pour des raisons bien différentes.
« On se répétait qu’il fallait le contrer, mais on savait que la tâche s’annonçait extrêmement difficile, dit Gauthier. Dans le junior, Mario était tellement dominant. Ça n’avait aucun sens! »
C’en était fait, en 21 minutes!
On pourrait vous résumer le match de Lemieux, mais Gauthier semble s’en souvenir comme si c’était hier.
« C’était tellement spécial. De un, c’était un typique lundi soir à Laval. L’aréna était bien plein! De deux, on se disait que ce n’était pas vrai qu’il allait battre le record de Guy Lafleur contre nous! De mémoire, en première période il en a marqué deux. Alors, on se disait qu’il nous restait deux périodes pour l’arrêter! Mais très tôt en deuxième période, il a réussi son 130e… »
Gauthier a une mémoire d’éléphant. En effet, dès la 78e seconde du deuxième engagement, Lemieux a déjoué Daniel Brazeau pour égaler le record de Lafleur.
Puis, à 7 :14, le moment tant attendu : le 131e de Lemieux, un nouveau record de la LHJMQ! Les Voisins menaient alors 10-0!
Quand Damphousse disait tantôt « qu’on ne s’attendait pas à ça », le « ça » fait référence au total de 11 points avec lequel Lemieux a fini, à un point du record de la ligue en un seul match détenu par André Savard, réalisé en 1971… aux côtés de Guy Lafleur! Tout est dans tout.
« Il a fini avec six buts et cinq passes, c’est incroyable! On ne parle pas ici d’un match pee-wee, c’était du junior majeur! Sous pression, il avait besoin de quatre buts pour battre le record… et il en a marqué six! Ça en dit beaucoup sur Mario Lemieux », souligne Finn avec admiration.
« J’étais sur le banc quand il a marqué son 131e, et une chance! On a taquiné pas mal ceux qui étaient sur la glace, car on les a vus en boucle aux nouvelles pendant une semaine! J’étais content de ne pas être là », ajoute Luc Gauthier en riant.
Finn, qui en était à sa deuxième saison dans la LHJMQ, affirme que ses coéquipiers et lui « étaient soulagés » quand Mario a marqué son 131e but et que « ses 11 points étaient la cerise sur le sundae à une soirée magique ».
Le plus talentueux
Deux autres points sur lesquels Finn, Damphousse et Gauthier s’entendent : Mario Lemieux est le joueur le plus talentueux qu’ils aient vu et une saison de 133 buts et 282 points dans la LHJMQ, ça n’arrivera plus jamais.
« Oui, il patinait. Oui, c’était un gros bonhomme. Mais son sens du jeu était exceptionnel. Il était toujours un ou deux jeux en avance sur tout le monde », résume Gauthier pour parler des qualités du grand 66.
« Mario était dominant à différents niveaux, estime Damphousse, qui a lui aussi été un très bon attaquant dans la LNH dans les années 80 et 90. C’était un excellent passeur, il avait un très bon tir, il avait le patin pour te déjouer et il était tellement fort physiquement qu’il pouvait faire des jeux même quand il était surveillé par deux joueurs. Gretzky, lui, était plus évasif, mais je crois que Mario avait un plus gros package. »
Finn : « Mario était tellement humble »
Finn, qui a récolté trois mentions d’aide le 14 mars 1984, tient à parler de l’individu plus que du joueur. « Mario était une super-vedette depuis le niveau atome, mais malgré tout, il était tellement humble. C’était one of the boys. D’ailleurs, quand je jouais dans la LNH et qu’on était en visite à Pittsburgh, il m’a invité à souper plusieurs fois. »
Ce qui impressionne encore plus Finn, c’est que Lemieux a réussi 133 buts et 282 points alors qu’il était constamment opposé aux meilleurs joueurs adverses.
« Mario avait toujours un shadow [ombre] sur le dos. C’est simple, à chaque match, l’entraîneur adverse désignait un joueur pour le suivre partout sur la glace! Mario était tellement intelligent qu’il allait se coller à un autre joueur adverse, ce qui faisait que nous, on jouait pratiquement à quatre contre trois! »
Quarante ans plus tard, la date du 14 mars 1984 reste encore spéciale dans le cœur de Finn.
« Il y avait beaucoup d’attention médiatique avant et après le match, car Mario ne battait pas n’importe qui. On connaît tous l’importance de Guy Lafleur pour les joueurs de notre génération et à quel point son passage dans la LHJMQ a été marquant. Guy, c’était un Dieu! Vraiment, c’était une soirée inoubliable. »
« On ne reverra plus jamais ça »
Depuis les 133 buts de Mario Lemieux, le plus haut total dans la LHJMQ a été les 94 de Stephan Lebeau, en 1987-1988. Ensuite, il y a eu les 87 de Yanic Perreault, en 1990-1991. Personne n’a dépassé les 80 buts depuis.
Au chapitre des points, les 282 de Lemieux sont 31 de plus en une saison que Pierre Larouche, enregistré en 1973-1974. Et depuis Lemieux, seulement deux joueurs ont franchi le cap des 200 points, soit Marc Fortier avec 201, en 1986-1987, et Patrice Lefebvre avec 200, en 1987-1988.
Depuis le début des années 90, le plus haut total a été obtenu par Brad Richards avec 186, avec l’Océanic de Rimouski de 1999-2000.
« On ne reverra plus jamais ça [les chiffres de Lemieux]. Pas avec les gardiens et les systèmes défensifs qui sont meilleurs que jamais », conclut Damphousse avec justesse.