Mois de l’Histoire des Noirs | L’inspirante histoire de Frantz Jean
Résilience. C’est le premier mot que mentionne Frantz Jean, l’entraîneur des gardiens de but du Lightning de Tampa Bay, quand vient le temps de décrire le parcours de son père, Nécastille, immigré à Montréal à seulement 17 ans. Récit.
« Mon père est né à Port-au-Prince, en Haïti. Il avait toujours rêvé de faire sa vie au Canada et il est arrivé ici avec seulement 100$ dans les poches. On parle ici de 1955 ou 1956. C’était assez gutsy comme move! Il avait rencontré un prêtre québécois, en Haïti, et il lui a trouvé une place où rester pour la première semaine. Ensuite, il s’est débrouillé », raconte Frantz Jean, qui a été entraîneur des gardiens des Wildcats de Moncton pendant 13 ans avant de joindre le Lightning en 2010, à titre de consultant pour les gardiens. Il a été promu entraîneur l’année suivante.
« Mon père a fait toutes sortes de petites jobines pour économiser de l’argent pour aller étudier, précise Jean. Il est rentré à l’Université de Montréal, mais il n’avait aucune idée de ce qu’il voulait faire! Il a pris l’ascenseur, quelqu’un a appuyé sur un bouton. Les portes se sont ouvertes, mon père est sorti de l’ascenseur à l’étage de la faculté d’optométrie. Et c’est ce qu’il a décidé de faire : optométriste!
« Il a non seulement fait son optométrie, mais il a aussi fait son droit, poursuit Jean avec fierté. Puis, une maîtrise et un doctorat en optométrie! Mon père a fait des études avancées et il a une culture générale incroyable. Tu peux parler de n’importe quoi avec lui. Et bonne chance pour remporter un argumentaire contre lui! »
En début de carrière, « alors qu’il tentait de bâtir sa clientèle », Nécastille Jean a également enseigné l’optométrie pendant une dizaine d’années.
C’est également à ce moment qu’il a rencontrée Suzanne Bergevin, qui allait devenir son épouse et la mère de Frantz, Philippe, l’aîné, et Marc-Antoine, le cadet.
Frantz est donc le seul à porter un prénom haïtien. « C’était important pour mes parents qu’au moins un de leurs enfants ait un héritage haïtien, souligne Frantz. Et j’ai fait pareil avec mon fils. Il s’appelle Néka, soit le surnom de mon père. On a juste changé le C pour un K. »
Un couple qui retenait l’attention
En ce jour de la Saint-Valentin, on se doit de connaître l’histoire d’amour de Nécastille et Suzanne, non?
« Mon père allait à l’Université de Montréal et habitait juste à côté du collège Brébeuf. Ma mère, elle, habitait à la résidence Maria Goretti, juste en face de Brébeuf. Mon père allait parfois se chercher un lunch à Maria Goretti, alors il se sont rencontrés là. Je dis ça humblement, mais ma mère et mon père paraissaient très bien. Et à l’époque, soit au début des années 60, les relations interraciales, c’était rare. Disons qu’ils faisaient beaucoup tourner les têtes », dit Frantz en riant.
L’entraîneur des gardiens de 52 ans n’hésite pas très longtemps lorsque vient le temps de cibler les valeurs que lui ont transmises ses parents.
« Mes parents se sont séparés alors que nous étions assez jeunes. Ma mère a élevé trois garçons. Mon père était dans le portrait, mais on habitait surtout chez ma mère. Elle a démontré énormément de résilience et d’organisation. Mon père aussi, vu son parcours d’immigrant. Mes parents nous ont aussi montré à toujours avoir un plan d’action, à continuer d’avancer malgré les embuches de la vie. Et mes parents ont toujours été travaillants. Mon père est arrivé ici tout seul et il a bâti une belle carrière à partir de rien. »
Tellement travaillant, en fait, que Nécastille Jean a pris sa retraite comme optométriste il y a à peine deux ans, à… 82 ans! « À la fin de la soixantaine, il avait pris une première retraite, mais il s’ennuyait, alors il a recommencé deux-trois jours semaine, raconte Jean. Il partait de l’Estérel [où il vit encore] le mardi matin, il travaillait le mardi, mercredi et jeudi, et il retournait chez lui le jeudi soir. »
Ses débuts au hockey
Et le hockey, maintenant? Contrairement à bien d’autres enfants, Frantz n’a pas commencé à jouer à cause de son père ou de son grand frère. « C’est arrivé un peu par accident, je dirais. J’ai commencé à 8-9 ans dans la cour d’école, avec mes amis. Mes chums jouaient aussi au hockey organisé à Ville Mont-Royal, alors j’ai demandé à mes parents si je pouvais m’inscrire. C’était en 1981 ou 1982. Je m’en souviens encore : il y avait un petit guichet, comme un service à l’auto. Une petite madame nous a répondu. Ça coûtait 25$ pour l’année!
« J’ai commencé comme joueur, ajoute Frantz Jean. J’étais bon, j’ai toujours été athlétique. Je marquais beaucoup de buts. Mais j’ai toujours été intéressé par la position de gardien, notamment en raison de l’équipement et du masque. Un jour, mon coach, qui était le père de mon chum Éric Beausoleil, m’a appelé. Notre gardien devait rater un match et Éric lui avait dit que je goalais souvent à l’école. Il m’a donc demandé de le remplacer et je ne suis plus jamais ressorti du net! »
Lentement, mais sûrement, Frantz Jean a gravi les échelons comme gardien. Jusqu’au point d’être invité au camp d’entraînement du Laser de Saint-Hyacinthe, en 1990. Il avait 19 ans.
Jean a joué six matchs avec le Laser, avant d’être échangé aux Tigres de Victoriaville, où il a joué cinq rencontres. L’année suivante, il faisait ses débuts devant le filet de l’Université de Moncton, où il a évolué cinq ans.
« Mon passage dans la LHJMQ a été une époque très excitante pour moi. Tu m’aurais vu bantam et tu aurais dit : ‘Jamais ce gars-là va goaler dans la LHJMQ!’ Je rappelle que j’ai commencé à goaler à ma dernière année pee-wee. Bantam, je jouais [dans la catégorie] CC! J’ai travaillé très fort pour me rendre à la LHJMQ. Les gens ne le réalisent pas, mais c’est très difficile jouer dans la LHJMQ. C’est l’élite du Québec qui joue là. Moi, j’ai fait l’équipe comme recrue invitée de 19 ans. D’avoir convaincu Norman Flynn de me garder et de me faire jouer un peu, pour moi, c’est un accomplissement énorme. Énorme! Martin Brodeur et Stéphane Ménard étaient là. C’était deux excellents gardiens et j’ai réussi à me faufiler. Ça démontre, une fois de plus, que tout est possible si tu travailles fort. »
Un passage marquant dans la LHJMQ
Dans la tête de Frantz Jean, il y a clairement un avant-LHJMQ et un après-LHJMQ. « Mes 11 matchs dans la Q m’ont mené au camp d’entraînement du Canadien de Montréal. François Allaire m’avait vu goaler et à l’été, il m’a invité à son école de hockey avec tous les meilleurs gardiens de la LHJMQ. J’ai eu un bon camp et à la fin, il m’a invité au camp du Canadien! Je n’ai pas joué dans la Ligue nationale, mais j’ai gagné un Championnat canadien avec l’Université de Moncton, où j’ai obtenu mon diplôme en communications. Toutes ces expériences m’ont fait grandir et m’ont mené à ma carrière actuelle. J’ai adoré regarder François travailler, ça m’a inspiré. À la fin de mon université, les Wildcats m’ont embauché comme entraîneur des gardiens et c’est avec un immense plaisir que je suis retourné dans la LHJMQ. The rest is history. »
Cette histoire est celle d’un double gagnant de la Coupe du Président (maintenant le Trophée Gilles-Courteau) avec les Wildcats, en 2006 et 2010, et de la Coupe Stanley avec le Lightning, en 2020 et 2021.
« Je gagne ma vie comme entraîneur des gardiens depuis bientôt 27 ans et j’adore encore ça, dit Frantz un sourire dans la voix. Je suis convaincu que tout cela n’aurait pas été possible sans mon passage dans la LHJMQ, au début des années 90. Ça a été un point tournant pour moi. »
Depuis qu’il a joint le Lightning, Frantz Jean a dirigé plusieurs anciens gardiens de la LHJMQ, soit Cédrick Desjardins, Sébastien Caron, Mathieu Garon, Kevin Poulin, Louis Domingue, Christopher Gibson et Maxime Lagacé.
Et aussi, depuis 10 ans, Andrei Vasilevskiy, considéré aujourd’hui comme l’un des trois meilleurs gardiens au monde, sinon le meilleur.