Mois de l’Histoire des Noirs : Frantz Jean et le racisme
Y a-t-il encore du racisme au hockey? Une épineuse question, qu’il est justifié de poser dans le cadre du Mois de l’Histoire des Noirs et à laquelle a bien voulu répondre Frantz Jean, qui joue ou coache depuis plus de 40 ans.
Jean dit avoir commencé à jouer au hockey organisé « en 1981 ou 1982 », à Ville Mont-Royal, un arrondissement cossu de Montréal. Avec VMR, il a parcouru les quatre coins du Québec avec ses chums.
Né d’un père haïtien, Nécastille Jean, et d’une mère québécoise, Suzanne Bergevin, a-t-il été victime de racisme quand il jouait?
« Oui, à tous les niveaux et à toutes les époques, répond-il sans hésiter. Ça a commencé tout jeune, parfois de façon très crue. Des fois, les gens étaient très minables, très misérables dans leurs commentaires. Je l’ai vécu aussi dans des choses sous-entendues, via des farces plates et des gestes inappropriés. Est-ce que ça a été un déluge à mon endroit? Non, mais c’est arrivé fréquemment. »
Grant Fuhr a tout changé pour lui
Frantz Jean, entraîneur des gardiens de but du Lightning de Tampa Bay depuis 2011, a commencé à jouer au hockey organisé alors qu’il avait 10 ans. Composer avec le racisme, ce n’est jamais facile, dans le sport ou dans la vie de tous les jours. Surtout pas quand on est un enfant ou un jeune ado.
« Des fois, j’avais de la peine, mais d’autres fois, j’étais fâché. J’avais envie de réagir violemment physiquement, mais je savais que ce n’était pas la chose à faire, dit-il. J’ai souvent remis beaucoup de choses en question et oui, j’ai pensé plusieurs fois quitter le hockey. Je me demandais si j’étais à ma place. Tu sais, à cette époque-là, nous, les jeunes Noirs, on n’avait pas de modèle noir à suivre dans la Ligue nationale. On ne savait pas quel chemin suivre. En plus, je regardais les familles de mes coéquipiers et elles étaient pas mal différentes de la mienne. J’étais complètement perdu dans tout ça.
« Grant Fuhr a tout changé, poursuit Jean avec passion. Quand il est arrivé dans la LNH [1981-1982], je voulais être le prochain Grant Fuhr! Il m’a fait réaliser que c’était possible d’avoir du succès et de se rendre loin en tant que gardien noir. Je l’ai rencontré il y a quelques années au Temple de la renommée, quand Martin St-Louis a été intronisé [en 2018], et je lui ai dit merci. Il a pavé la voie à des gars comme moi. »
Réginald Savage, un autre modèle
L’entrevue se poursuit, on pose d’autres questions à Frantz Jean. Plusieurs minutes plus tard, il revient lui-même sur les joueurs qui l’ont inspiré.
« Réginald Savage a également été un modèle pour moi, même si on avait pas mal le même âge. Je me suis tenu avec lui au début des années 90 et j’ai participé à ses écoles de hockey. J’étais très fier de Réginald. De voir un Noir dominer de la sorte dans la LHJMQ [de 1987 à 1990], être repêché au premier tour dans la LNH [1988] et être toujours gentil avec tout le monde… j’étais très fier lui. Je me disais toujours qu’il fallait que je sois plus comme Regi! »
Malheureusement, Réginald Savage nous a quitté le 24 décembre dernier, des suites d’un combat contre le cancer. Il avait seulement 53 ans, soit l’âge que célébrera Frantz Jean le 6 avril prochain.
Jean était toutefois bien content d’apprendre que son vieux chum serait intronisé au Temple de la renommée de la LHJMQ, en septembre prochain. « It’s about time », réplique-t-il en riant.
Encore du racisme, en 2024?
L’entretien se poursuit et on demande à l’ancien entraîneur des gardiens des Wildcats de Moncton (1997 à 2010) si, selon lui, le racisme est encore présent dans le hockey en 2024.
« Oui, il y en a encore, mais c’est plus isolé, on le voit moins, estime-t-il. Et je crois qu’avec les réseaux sociaux, les gens ont plus de plateformes pour le dénoncer. Dans mon temps, tu devais encaisser. Si tu parlais, tu étais considéré comme un faiseux de trouble et on te tassait. Aujourd’hui, quand les joueurs sont victimes de racisme, ils ont beaucoup plus de ressources autour d’eux pour en parler et faire des plaintes. Tu ne devrais jamais te faire attaquer ou insulter en raison de la couleur de ta peau. Jamais! »
Au fil des années, à Tampa Bay, Frantz Jean a eu la chance côtoyer des joueurs noirs comme J.T. Brown, Pierre-Édouard Bellemare, Mathieu Joseph, Gemel Smith, Christopher Gibson et Daniel Walcott.
A-t-il été témoin de racisme à leur endroit? Ou ces derniers lui en ont-ils rapporté?
« Oui, c’est arrivé, avoue Jean sans vouloir entrer dans les détails. On est sur la route et les partisans des autres équipes font des commentaires ou des gestes inappropriés. Parfois, dans les gradins, il y a des fans frustrés. Et tu fais quoi quand tu es frustré? Tu réagis avec impulsivité et tu dis parfois la première chose qui te passe par la tête. Oui, des fois, ça touche la couleur de la peau. Les gens sont parfois prêts à tout pour déstabiliser l’adversaire! Là, on parle de hockey, mais c’est comme ça dans la rue aussi. Le racisme est utilisé pour déstabiliser l’autre personne et pour tenter d’imposer sa dominance. »
Jean assure qu’il s’agit toutefois d’incidents isolés et qu’ils n’entachent en rien la fierté qu’il ressent de voir des joueurs noirs avec le Lightning et aux quatre coins de la LNH.
« J’ai 52 ans, alors j’ai grandi à une époque où il y en avait très peu. Plusieurs joueurs noirs ou métis ont joué à Tampa et je suis très fier de dire qu’on a été la première équipe à avoir un trio composé uniquement de joueurs noirs [Joseph-Smith-Walcott]. Et c’était en 2021! C’est incroyable qu’il n’y en ait pas eu avant! Je suis fier parce que contrairement à moi plus jeune, les jeunes Noirs peuvent maintenant réellement croire en leur rêve d’atteindre la LNH ou de jouer pro quelque part. Et pouvoir rêver, ça n’a pas de prix. »
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